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La dépigmentation : un phénomène qui a « la peau dure » au Burkina Faso

Il n’est pas rare de voir dans les lieux publics, des femmes qui se sont ‘’tcha’’ (se dépigmenter), comme on le dit vulgairement. Avoir une peau claire est devenu une obsession pour beaucoup. Elles usent de tous les moyens pour se dépigmenter. Certaines le font si bien qu’il est difficile de s’en apercevoir, à moins qu’on les ait connu auparavant quand elles étaient noires. D’autres par contre, ressortent de cette aventure avec des séquelles difficiles à dissimuler. Chez ces dernières, on constate une peau multicolore, des taches sur le corps surtout sur le visage, des brûlures et des coudes, genoux et pieds recouverts de peaux mortes. Cette pratique peut provoquer le cancer et des complications pouvant conduire à la mort. Il s’agit de la dépigmentation artificielle et volontaire de la peau.

Selon Issaka Ouédraogo, porte-parole de l’Initiative africaine-stop dépigmentation (IASD), la dépigmentation est le 3ème problème de santé publique après le paludisme et les maladies respiratoires. Elle implique plus de 50% de femme au Burkina toujours selon l’IASD. « Dans la ville de Ouagadougou, le taux est passé de 22% en 1997 à près de 40% en 2005. A Bobo-Dioulasso, il était à 50% en 2005 et en 2016, on était à près de 68% de femmes qui utilisent des produits dépigmentant » a indiqué Dr Awa Traoré, dermatologue-vénérologue.
C’est une pratique surtout féminine qui intéresse particulièrement les femmes africaines au sud du Sahara. Par ailleurs , des femmes d’autres régions du monde telles que la Mayotte, le Maghreb, l’Arabie Saoudite, l’Inde, l’Asie pacifique sont concernées par ce phénomène. La dépigmentation concerne aussi les hommes surtout en Afrique Centrale.


Un acte volontaire, mais très dangereux pour celles et ceux qui la pratiquent. En effet, l’éclaircissement se fait par la destruction de petites cellules existant sur la peau, diminuant ainsi sa pigmentation naturelle. Une pigmentation qui protège la peau contre les rayons solaires et d’autres agressions. « C’est un phénomène qui est en vogue. Les personnes qui s’adonnent à ça veulent avoir un teint clair. Malheureusement, elles ne le font pas souvent avec les produits qui sied, même si à mon avis il faut se méfier des produits éclaircissant car, ils agressent la peau. Et beaucoup d’études et de sensibilisations ont démontré que la dépigmentation volontaire est très dangereuse pour la santé » de l’avis de Reine Stéphanie Thiombiano, Communiquante pour le Développement et engagée pour les questions de la santé sexuelle et reproductive.

Reine Stéphanie Thiombiano Communiquante pour le Développement

Yanogo Elisabeth, étudiante à l’Université Joseph Ki-Zerbo abonde dans le même sens en affirmant que « La dépigmentation, c’est une mauvaise chose. Moi je n’ai jamais pensé à changer la couleur de ma peau ». Quant à Jean Nebié journaliste-écrivain, « La dépigmentation est un indicateur du manque de confiance en soi. Celui ou celle qui se dépigmente le fait pour se sentir valorisé et compter dans l’estime des autres. Aujourd’hui, les modèles de la mode sont le plus souvent des personnes à la peau claire. Il y a certes des modèles à la peau noire, mais ils ne sont pas suffisamment vus ».
On retient donc que la dépigmentation volontaire est mauvaise, met en danger la santé et est un phénomène à combattre : peu importe la raison. Les raisons peuvent être le manque de confiance en soi, le ‘’mimétisme de la peau blanche’’ qui est un phénomène ancien, le traumatisme postcolonial avec comme corollaire un complexe d’infériorité du Noir par rapport au Blanc, le désir de séduction, etc. « Pour les filles qui disent que les hommes aiment les filles qui ont un teint clair, c’est faux. J’ajoute qu’elles mentent et qu’elles se blaguent sur quelque chose qui n’est pas réelle. Les hommes aiment quand tu as un teint naturel » ajoute Yanogo Elisabeth.

La dépigmentation et son corolaire sur la santé

Sur le plan médical, la pratique peut conduire à des complications dermatologiques (infections cutanées, acné, dyschromies, dermatoses lichénoïdes, cancer de la peau, brûlures, etc.) et celles systémiques (Hyper Tension Artérielle, le diabète, le syndrome de Cushing, le défaut de cicatrisation et l’intoxication du nouveau-né pour les femmes enceintes). Avec les produits décapants, la peau devient mince et très fragile, ce qui rend difficile les éventuelles interventions chirurgicales. En cas d’intervention, les sutures ne tiennent pas et cela peut entraîner la mort. Les utilisateurs de ces produits deviennent progressivement multicolores et dégagent une odeur nauséabonde. La dépigmentation combinée aux rayons du soleil entraîne un vieillissement prématuré de la peau qui se manifeste par des rides et des plis sur tout le corps. Toutes ces conséquences ne se voient pas dès les premiers moments de l’utilisation. C’est un long processus qui s’installe progressivement et détruit la personne à petit feu. On retrouve souvent de l’hydroquinone dans les produits utilisés. Or selon le Dr Andonaba dermatologue au CHU-SS de Bobo-Dioulasso, son utilisation requiert une préparation préalable de la peau pour accélérer l’éclaircissement et obtenir un teint plus ou moins uniforme. Pour cela, les femmes utilisent de l’eau de Javel, de la potasse, du shampooing Dop, pour nettoyer leur peau avant d’appliquer le produit, qui se chargera de la destruction de la mélanine en profondeur. L’hydroquinone, est mélangé avec d’autres éléments chimiques dans beaucoup de produits cosmétiques sur la place du marché.

Un arrêt à temps peut éviter certaines conséquences lointaines et minimiser les séquelles déjà installées sur la peau. Beaucoup veulent arrêter, mais ne sont pas prêts à s’exposer aux moqueries et stigmatisations de la société, car elles vont redevenir noires. Elles ont donc besoin d’être accompagnées. Afin de diminuer la pratique et protéger la santé de la femme, Issiaka Ouédraogo le coordonnateur national de l’IASD, pense qu’il faut peut-être pénaliser la dépigmentation comme dans d’autres pays tels que le Rwanda.
En rappel, la dépigmentation daterait de l’époque des pharaons. Pour d’autres, son origine remonterait aux années 1960-70. Elle aurait débuté aux Etats-Unis dans un contexte de discrimination raciale qui privilégiait les individus à peau claire. A la faveur des luttes d’émancipation des Noirs, le phénomène connaitra un recul aux USA pour se propager en Afrique. Il prendra alors pied dans les pays anglophones. C’est le cas de l’Afrique du Sud dès les années 1961, du Libéria, du Nigéria et de la Gambie. La dépigmentation s’étendra plus tard aux autres pays du continent notamment francophones.


Yenntéma Priscille

bf1news.com

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Un commentaire

  1. Salut j’espère vous allez bien j’aime vraiment votre texte pour la dépigmentation
    Moi aussi dan mon travail je parle de ça je suis artiste plasticien congolais vit et travaille à Kinshasa

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