
Le rideau est tombé sur la 29e édition du FESPACO, et le Burkina Faso exulte. Après 28 ans d’attente, le cinéma burkinabè retrouve les sommets avec Katanga, la danse des scorpions, couronné de l’Étalon d’Or de Yennenga. Une consécration pour Dani Kouyaté, cinéaste habité par le verbe et l’image, qui inscrit son nom aux côtés de légendes comme Idrissa Ouédraogo et Gaston Kaboré. Ce sacre va bien au-delà du prestige d’un trophée : il sonne comme une ode à la persévérance, à l’héritage et à la force du récit africain.
Un long travelling vers la consécration
1991, Tilaï d’Idrissa Ouédraogo. 1997, Buud Yam de Gaston Kaboré. 2025, Katanga, la danse des scorpions de Dani Kouyaté. Il aura fallu 28 ans pour que le Burkina Faso retrouve la première place. Comme un scénario bien écrit, cette longue attente insuffle encore plus d’émotion à la victoire. Elle rappelle une vérité essentielle du septième art : l’excellence exige du temps, de la patience et du labeur. Le digne fils de Sotigui Kouyaté n’a jamais cessé de raconter. Depuis Sia, le rêve du python, qui avait déjà marqué les esprits, il tisse des récits où la tradition dialogue avec l’avenir, où l’image épouse la parole ancestrale. Avec Katanga, il ne signe pas seulement une fresque cinématographique. Il offre un conte moderne teinté de tradition, où la tragédie et le destin s’entrelacent dans une mise en scène hypnotique.
Un cinéma d’héritage et de transmission
Dani Kouyaté porte en lui l’empreinte de son père, le grand Sotigui Kouyaté. Dans son cinéma, l’héritage est un fil conducteur, un récit ininterrompu qui traverse le temps et les générations. Son sacre au FESPACO est la preuve que le cinéma africain, enraciné dans son patrimoine, a encore tant à dire et à offrir au monde. Il s’inscrit dans cette lignée d’auteurs qui ne filment pas simplement des histoires, mais qui sculptent la mémoire collective à travers l’écran.
Quand Shakespeare rencontre le Burkina Faso
Le cinéma et l’art n’ont pas de frontières, et Katanga, la danse des scorpions en est la preuve éclatante. Ce long métrage dramatique de 1h53, réalisé en langue mooré, s’inspire de la célèbre pièce Macbeth de William Shakespeare. Dani Kouyaté revisite l’histoire intemporelle d’un homme pris au piège de sa propre soif de pouvoir. À travers une mise en scène envoûtante, où les ombres et les silences en disent parfois plus que les dialogues, le réalisateur burkinabè nous plonge dans une tragédie universelle, où ambition et trahison dansent comme des scorpions prêts à frapper. Ce choix d’adaptation témoigne de la puissance du langage cinématographique, capable de transcender les cultures et les époques. Qu’il soit conté en mooré, en anglais ou en français, le récit de Katanga fait écho aux grandes tragédies humaines, celles qui hantent les palais, les royaumes et les couloirs du pouvoir depuis toujours.
L’Étalon d’Or du FESPACO, un appel à financer le cinéma africain
Ce triomphe rappelle une évidence : le talent est là, il brille, mais il a besoin d’être accompagné. Produire un film en Afrique, et particulièrement au Burkina, c’est souvent un parcours du combattant. Peu de moyens, peu de salles, des défis logistiques immenses… Pourtant, chaque édition du FESPACO prouve que le continent regorge de créateurs audacieux. Katanga, la danse des scorpions en est un parfait exemple. Le film a été réalisé avec un budget d’un million d’euros, soit plus de 650 millions de FCFA. Un investissement conséquent, qui prouve une réalité indéniable : le cinéma coûte cher, et la qualité a un prix. Réaliser un long métrage exige des moyens financiers pour la mise en scène, la direction artistique, la postproduction et la distribution. Mais au-delà de la production, le véritable enjeu réside dans la rentabilité. Un film, aussi grandiose soit-il, ne peut impacter l’industrie cinématographique africaine sans un modèle de distribution efficace. Il est impératif de développer des réseaux de diffusion viables, des plateformes numériques adaptées et des politiques de financement structurées pour que ces œuvres puissent être vues et rentabilisées. Tant que l’Afrique ne trouvera pas une économie du cinéma viable, chaque chef-d’œuvre couronné au FESPACO restera une étoile filante, brillant un instant avant de disparaître dans l’ombre du manque de moyens. Il est temps que les investisseurs, les gouvernements et les institutions culturelles prennent la pleine mesure de l’enjeu : soutenir le cinéma, c’est valoriser la culture, préserver la mémoire et stimuler l’économie.
Raconter l’Afrique avec puissance et sincérité
À travers Katanga, Dani Kouyaté explore les jeux de pouvoir, la soif de domination, les dilemmes du leadership. Son film, porté par une mise en scène magistrale, des cadres soignés et une direction d’acteurs habitée, transcende la simple intrigue pour devenir une parabole sur la condition humaine. Cette victoire est une invitation pour les cinéastes africains à oser raconter leurs histoires avec authenticité, sans compromis, à creuser dans leur imaginaire pour façonner des œuvres à la fois enracinées et universelles.
Un clap de fin qui sonne comme un nouveau départ
Avec cet Étalon d’Or, Dani Kouyaté ne décroche pas seulement un trophée. Il réveille un espoir, celui d’un cinéma burkinabè et africain qui s’affirme, qui s’impose, qui écrit sa propre légende. Le Burkina Faso, terre de cinéma, vient de rappeler qu’il est toujours un bastion du septième art. Que l’histoire continue de s’écrire, que les caméras continuent de tourner, que les rêves continuent de prendre vie sur grand écran. Parce que le cinéma est une mémoire vivante, une flamme que rien ne saurait éteindre.
Abdourazak Traoré